Grand Format : Un ciel bleu nuageux

DOSSIER – Trop tôt, cela s’arrête trop tôt. Champions du monde en titre, les Bleus ratent le coche et sortent de l’Euro 2020 dès les huitièmes de finale contre la Suisse (3-3, 4-5 après t.a.b). Après la frustration est venue l’heure du bilan pour Didier Deschamps et ses hommes, vainqueurs du groupe F mais vaincus dès le début des matchs à élimination directe. Comment décoder cet échec imprévu ? Quelles leçons en tirer ?

Karim Benzema et Kylian Mbappé, un Euro aux antipodes. Crédits photos : Getty Images

Du sang-froid dans les veines contre de redoutables adversaires

Tout a commencé le 15 juin face à l’Allemagne à l’Allianz Arena de Munich. Dans cette rencontre, les Bleus ont produit un jeu minimaliste mais ont montré des certitudes en multipliant les efforts collectifs tout en se heurtant à des buts refusés pour hors-jeu. Ils sont ressortis vainqueurs grâce à un but contre son camp de Mats Hummels (20′, 0-1, NDLR), un ancien bavarois qui rejoue le match du Maracana à l’envers sur un centre de Lucas Hernandez, qui assure que le plan était minitieusement travaillé lors de l’avant-match à l’entraînement. De son côté, Karim Benzema, qui n’a pas trouvé le chemin des filets depuis son retour en sélection se sent prêt à enfiler le costume du héros en doublant la mise comme un symbole de réconciliation alors qu’il est bien servi par Kylian Mbappé qui saisit bien le déroulé du scénario en train de s’écrire jusqu’à ce que l’arbitre de touche ne prenne la décision de lever son drapeau qui ressemble ni plus ni moins à celui de la discorde.

Ce match, remporté par une France sûre de sa force et pleine de courage aurait certainement fait bondir le mythique buteur anglais Gary Lineker qui criait après une défaite que le football est un jeu si simple qu’il ne voit en lui qu’une détentrice inébranlable de la victoire, l’Allemagne. Pourtant, les chiffres ne mentent pas et l’Équipe de France est dominante depuis 2014, date de sa dernière défaite contre ce même adversaire. Depuis Rio de Janeiro il y a d’abord eu l’Euro 2016 et le stade Vélodrome, théâtre du récital d’Antoine Griezmann, auteur d’un doublé pour emmener les siens vers une finale fermée mais perdue, contre le Portugal (0-1). Puis, il y a eu l’épopée russe que les Allemands ont tristement quitté dès le premier tour là où les Français ont brodé une deuxième étoile au-dessus du coq gaulois. Enfin, il y a eu cette victoire en Ligue des Nations obtenue en octobre 2018 dans laquelle ils peuvent remercier encore une fois le numéro sept, qui a trouvé le chemin des filets à deux reprises comme un air de vieille rengaine. Ce premier rendez-vous des Bleus, qui espèrent réaliser le doublé Coupe du Monde-Euro est réussi. Un peu plus tôt dans l’après-midi du 15 juin, le Portugal a eu toutes les peines du monde à imposer sa loi face à la Hongrie avant d’inscrire trois buts en toute fin de match (0-3, NDLR) avec un record à la clé pour Cristiano Ronaldo, dépassant Michel Platini au classement des buteurs de l’Euro avec ses dixièmes et onzièmes buts dans toute son histoire avec la compétition entre 2004 et cette édition 2020, disputée en 2021. Pour le deuxième match, le groupe France prend la direction de la capitale hongroise et de la Puskas Arena pour faire sauter le verrou hongrois, qui pourra compter sur un stade plein, acquis à leur cause.

Antoine Griezmann devra porter les Bleus face à la Hongrie. Crédits photos : Getty Images

En ce samedi 19 juin, la France se lève du repos traditionnel de l’après-midi pour voir leurs joueurs sur le terrain dès 15h00. Dans une ambiance chaude avec des tribunes garnies par une soixantaine de milliers de personnes, les Irrésistibles Français, supporters officiels de l’Équipe de France tentent de se faire entendre tant la brigade hongroise vêtue de noire et de drapeaux vert blanc et rouge gagne la bataille des tribunes. Sur le terrain, onze joueurs bousculent onze autres et le pays du gardien de but Peter Gulàcsi n’abdique pas et voit son rôle d’arbitre du groupe le plus pimenté en train de s’intensifier. Kylian Mbappé rate une tête puis deux, combine avec Karim Benzema tandis qu’Antoine Griezmann reste lui aussi muet. À l’image de ses trois fantastiques mais apathiques attaquants, la France ne réalise pas le même match abouti contre ce surprenant adversaire et se retrouve même progressivement la tête sous l’eau alors que l’efficacité n’est pas au rendez-vous. Alors qu’une pause qui ferait du bien aux corps et aux esprits français se profile à l’horizon, Attila Fiola fait basculer tout un pays dans l’euphorie alors que la confiance semble changer de camp (1-0, 45+2′, NDLR). Au retour des vestiaires, il faudra alors tout recommencer pour revenir dans un match bien mal débuté et que ce but vient ainsi logiquement sanctionner bien qu’il intervienne contre le cours du jeu.

La deuxième mi-temps ne sera pas beaucoup plus intéressante pour les Bleus, terrassés par la chaleur hongroise et le défi physique imposé par Làzlò Kleinheisler au milieu de terrain notamment.

Pour déstabiliser la défense hongroise, Didier Deschamps décide de redistribuer les cartes et lancer Ousmane Dembélé (57′, 1-0, NDLR dont le profil est intéressant pour créer des différences par le biais de la vitesse et de la percussion. L’ancien ailier du Stade Rennais aura sa chance de pouvoir briller et essuyera des échecs dans ses différentes tentatives notamment lorsque son tir est venu mourir entre le poteau et la barre transversale. Révoltés et révoltants au vu de leurs difficultés, les Bleus s’en remettent à Hugo Lloris qui lobe deux lignes hongroises pour aller chercher Kylian Mbappé qui s’arrache pour récupérer le cuir entre ses pieds et adresser un centre à raz de terre vers Griezmann qui convertit cette passe décisive. Ce but est synonyme de soulagement (66′, 1-1, NDLR) pour les Bleus, malmenés et surpris par les tribunes et les conditions de jeu peu optimales sous un soleil accablant. Il n’y aura pas d’autres buts et pas de chemin tout tracé vers la victoire. Avec ce résultat décevant, les Bleus sont toujours en tête du groupe F mais devront garder la tête froide pour conserver cette place alors que le Portugal a sombré un peu plus tard dans la journée contre la Mannschaft (4-2).

Avant ce troisième match, les doutes s’immiscent dans les têtes des joueurs français, contraints de ne pas profiter de leurs proches en raison de la bulle sanitaire dans laquelle ils se trouvent. Parallèlement, leur situation n’est pas améliorée comme toutes les autres équipes par le format et l’organisation de ce championnat d’Europe des Nations qui force les effectifs à se déplacer sur la quasi-totalité du continent en les empêchant donc d’avoir un camp de base à leur disposition. Lors du Mondial 2018, le camp de base d’Istra situé à l’ouest de Moscou avait contribué à la construction d’un esprit de groupe fort et concerné par un même objectif de victoire. Dans une saison post-pandémie, les corps des sportifs sont mis à rude épreuve et l’Équipe de France en a d’ailleurs fait les frais avec la blessure d’Ousmane Dembélé qui sera éloigné des pelouses pendant au moins quatre mois.

Au coup d’envoi du troisième match, Didier Deschamps et ses onze hommes de confiance sont qualifiés sans jouer et devront livrer une bataille acharnée pour terminer cette phrase de groupe en tête du classement puisque si l’Allemagne bat la Hongrie et que le champion d’Europe sortant perd par plus de deux buts d’écarts, il devra faire prématurément ses valises. Ce Portugal – France promet donc de sonner l’heure de la revanche et sera l’œuvre de Cristiano Ronaldo et Karim Benzema côté portugais et français. En effet, les deux ex-coéquipiers au Real Madrid seront buteurs sur penalties (31′; 45+2′ ; 60′, NDLR) puis dans le jeu (47′) pour animer un match teinté de folie qui se terminera finalement par un score nul (2-2). Karim Benzema aura attendu un stade plein pour montrer que son retour était le bon choix à faire tandis que Paul Pogba impressionnera en totalisant 96% de passes réussies. Désormais, la France à la première place et le Portugal, meilleurs troisièmes verront les huitièmes de finale. La Hongrie n’aura pas eu raison de l’Allemagne mais l’aura fait passer très près de l’élimination (2-2).

La France se dirige donc vers un huitième de finale contre la Suisse prévu à Bucarest alors que l’Allemagne hérite de l’Angleterre à Wembley. Quant à lui, le Portugal du pragmatique Fernando Santos devra se défaire de l’ambitieuse Belgique. La tension des matchs couperets arrive.

La joie des Français après le premier but dans le jeu de Karim Benzema depuis son retour en sélection. Crédits photos : Getty Images

Et si l’ennemi se trouvait dans le miroir ?

Le huitième de finale des Bleus est donc programmé à Bucarest contre la Suisse qui a conclu sa première phase en étant troisièmes du groupe A, derrière l’Italie qui a su imposer sa loi contre eux (3-0) et le Pays de Galles. Frappée de mésaventures et privée de Lucas Digne, Thomas Lemar, Lucas Hernandez et Ousmane Dembélé, les Bleus avancent en plein doute et à tâtons avec une défense à trois composée de Raphaël Varane, Presnel Kimpembe et Clément Lenglet qui ont connu des fortunes diverrses dans leurs clubs respectifs. Les hommes de Vladimir Petković jouent donc pour écrire l’histoire et atteindre un quart de finale inespéré ; en ce sens, ils ne se priveront pas pour faire chuter l’équipe à battre. La défense à trois n’est pas une réussite et semble embourber les Bleus dans les sables mouvants. Haris Seferović ouvre donc le score en profitant des tourments et des atermoiements tactiques (15′, 1-0, NDLR). Ce but vient concrétiser la crainte que certains pouvaient avoir avant le match et montre que la France est en train de certainement produire la pire première mi-temps de l’ère Deschamps. Les failles du jeu minimaliste sont mises au jour et les lueurs d’espoirs sont maigres. Après un changement tactique, le premier de la soirée et l’entrée de Kingsley Coman, Deschamps reconnaît son erreur et veut se remettre dans le sens de la marche. Hugo Lloris stoppe un pénalty de Ricardo Rodriguez qui aurait pu tout changer après une faute de Benjamin Pavard et un murmure à l’oreille de de Karim Benzema. Le numéro 19 sonnera la révolte et inscrira deux buts coup sur coup pour donner l’avantage aux siens (57′ ; 59′, NDLR) et plonger dans l’euphorie sur le chemin de la qualification. La qualification semble plus proche encore lorsque Paul Pogba (Manchester United) décoche l’une des plus belles frappes de la compétition qui vient se loger dans la lucarne de Yann Sommer pour creuser l’écart (75′, 3-1, NDLR). Le déclic et le jour de gloire sont arrivés, bientôt la Suisse ne sera plus qu’un souvenir douloureux mais finalement heureux pour tout un pays.

Paul Pogba s’est mué en leader dans une compétition laborieuse pour toute la sélection. Crédits photos : Getty Images

Cependant, Seferović est toujours présent et inscrit la copie conforme de son premier but (81′, 3-2, NDLR). La confrontation devient irrespirable et la confiance a changé de camp. Mario Gavranović (Dinamo Zagreb) égalise ensuite dans les dernières secondes (90′, 3-2, NDLR) et envoie Français et Suisses en prolongations, pour trente douloureuses minutes de plus. Le scénario impensable et cette égalisation perturbe Didier Deschamps qui perd son calme et s’entête au point de vue tactique en changeant trois fois d’organisation. Bixente Lizarazu qui commente le match pour TF1 avouera ne pas avoir reconnu le capitaine de l’équipe championne d’Europe 2000.

Ce huitième de finale rendra donc son verdict aux tirs aux buts et aucun des tireurs ne manquera sa tentative, même Presnel Kimpembe (défenseur central) peu habitué à l’exercice. En cinquième tireur, Kylian Mbappé s’avance alors qu’il pensait être le héros d’une qualification potentielle, dans le cas où la séance tournerait en la faveur de son équipe, à l’image de Cristiano Ronaldo lors de la finale de l’édition 2016 de la Ligue des Champions. Le destin bleu est au bout de son duel psychologique avec Yann Sommer qui en sort vainqueur. Marcus Thuram viendra seul consoler son coéquipier après cet échec dans l’exercice qui enterre tout espoir de qualification. La Nati est en quarts de finale contre l’Espagne et n’a pas à rougir. La physionomie du match est infiniment cruelle alors que le tournoi perd déjà certains des meilleurs joueurs du monde comme Paul Pogba, Karim Benzema qui se sont affirmés comme les indispensables et Kylian Mbappé qui seul, devra se remettre de cette compétition ratée et de la pression qui lui est dorénavant mise sur les épaules. Relever de nouveaux défis sera primordial pour les champions du monde qui ne peuvent s’en vouloir qu’à eux-mêmes dans cette rencontre. Le principal ennemi de l’Équipe de France réside dans sa confiance en elle-même qui semblait sans nulle doute excessive à l’heure d’aborder les matchs qui ne pardonnent pas. Un seul grain de sable s’est glissé dans les rouages français et il était de trop. Didier Deschamps, de toutes les victoires françaises depuis son arrivée sur le banc a peut-être enfin prononcé ses derniers mots mais il ne faudrait pas que son avenir à la tête du navire ne cause d’autres remous et des maux bleus.

Ainsi, le réveil est difficile et le constat est fatal. Pour la première fois depuis 2010, l’Equipe de France ne verra pas les quarts de finale d’une compétition internationale et n’aura pas sa place dans le dernier carré pour une première fois depuis 2016 puisqu’il sera composé de l’Espagne, de l’Italie, du Danemark et de l’Angleterre. Le ciel bleu était donc nuagueux et ne pourra pas s’assombrir davantage au risque d’inquiéter, à un an et demi de la Coupe du Monde au Qatar.

BUCAREST – 28 juin 2021. Les maux bleus et un ciel nuagueux précipitent la fin du championnat d’Europe des Nations de Didier Deschamps et les joueurs. Crédits photos : Getty Images

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